Alors oui, bon, il a écrit les paroles de Je Suis Pour, co-signé celles de Le Temps des Colonies donc bien sûr, le mec part avec des dossiers. Mais est-il intellectuellement honnête de s’arrêter là ? Ce début d’année sème le doute… Faut-il sauver Michel Sardou ?

Je ne m’enfuis pas, je vole

Ça commence par le conseil d’un copain qui me recommande La Famille Bélier, l’histoire d’une famille où les parents sont sourd-muets et la fille chanteuse. Ouais, OK, y’a François Damiens, Karin Viard et Eric Elmosnino qui jouent dedans ? Allez ! Pourquoi pas.

Avec le recul, je me dis que chanter, ça doit marcher mieux que la guitare

Près de deux heures plus tard, quelques grosses ficelles qui n’auront malgré tout pas déplu commencent à nous faire chialer devant un duo d’ados qui chante Je Vole. C’est quoi ces conneries putain ? On est à la fromagerie Morel là ou quoi ?

Le Kif de Chalumeau

Quelques semaines passent et j’attaque la lecture de Kif, de Laurent Chalumeau. Le titre est assez nul, mais purée, le roman est bon. Très bon !

Déjà pour remettre dans le contexte, Laurent Chalumeau c’est un ancien de Rock & Folk, co-auteur des sketches de De Caunes à la grande époque Canal : Gérard Langue de Pute ou Didier l’Embrouille, c’est signé Chalumeau.

Dans Kif, il raconte l’histoire de Georges Clounet (à ne pas confondre avec son homonyme Georges Clooney), un ancien CRS à la retraite qui se retrouve malgré lui propriétaire d’une boîte de nuit, le Kif, et ça se complique pour lui. Dur de mieux résumer le bouquin que par sa 4è de couverture :

Plutôt incorruptible dans son genre, Georges entend bien faire le ménage dans sa petite entreprise totalement vérolée. Mais en ce début d’automne 2011 au climat déjà bien alourdi par les querelles truquées sur la “filière halal”, les prières dans la rue et le débat sur l’“identité nationale”, ils sont en prime nombreux à lui compliquer la tâche : un ex-acteur porno recyclé dans le proxénétisme mondain ; un milliardaire saoudien autoproclamé “DSK de la Riviera” ; un converti à l’islam radical qui se voit déjà calife ; une élue du FN qui croit son heure venue… Un million d’euros cash rangé dans une mallette va échauffer l’esprit de tout ce petit monde, tandis que diverses amours contrariées et pulsions contrariantes viennent compliquer l’affaire – car une société se raconte aussi par la façon particulière qu’y ont les hommes de haïr les femmes.

Chalumeau n’en est pas à son premier polar de mœurs situé sur la côte d’Azur. Sur les sujets qu’il aborde et les personnages qu’il brosse, Chalumeau dit seulement puiser son inspiration dans le journal et se défouler de ses indignations de citoyens en écrivant “un divertissement qui n’insulte pas l’intelligence du lecteur”.

C’est pas du Brahms

Et c’est quoi le rapport avec Michel Sardou ? Le rapport c’est qu’en 2009, j’écrivais ça sur Chalumeau :

Quand on gratte un peu plus loin, on trouve quand même quelques casseroles dans le passé du bonhomme : parolier pour Michel Sardou et G-Squad… Hum… Lire un second livre pour préciser son jugement sur Lolo me semble donc à la fois nécessaire et risqué. Nous vous tiendrons informés.

Dont acte. Et aussi, je me suis davantage documenté. Et j’ai pas été déçu. Parce qu’en plus d’être un super romancier, Chalumeau n’est pas le dernier des sages. Au sujet de Michel, avec qui il a co-écrit les paroles de C’est pas du Brahms, il déclare :

J’ai passé 2 ans épatants avec Michel Sardou. Après avoir cessé d’écrire les sketches d’Antoine de Caunes à Canal, je me retrouve à adapter une pièce de Noël Coward pour servir de prétexte aux débuts sur les planches de Michel Sardou, comédien de théâtre. Et c’était extra !

Quand la journaliste lui demande s’il n’y a pas eu d’opposition de style entre les 2 personnages, Lolo reprend :

Y’a des sujets sur lesquels ça sert à rien de le lancer. Je n’étais pas sur terre pour faire revenir Michel Sardou sur certaines de ces positions. On s’en branle, c’est pas le sujet. Il savait bien à qui il avait affaire. Il a été très respectueux de la petite différence que je pouvais incarner modestement et je lui ai rendu la pareille. En précisant qu’il a quand même des heures de vol et il en a vu des gens. Même la posture que j’aurais pu adopter du mec plus jeune, plus branchouille, plus rock’n’roll, plus ceci, plus cela. Rock’n’roll mon cul ! Si le rock’n’roll s’évalue en drogues prises, en beuveries, en rails de coke sniffés sur des culs de négresses (sic), Sardou est 15 fois plus rock’n’roll que moi ! Il en a plus oublié que je ne saurai jamais sur le mode de vie rock’n’roll. C’est une vedette ! C’est les Caves du Roy à St-Tropez, ça doit être Carlos qui se jette tout nu dans la piscine. Sur le rock, je peux rien lui raconter.

Avant de conclure sur la fin de leurs 2 ans d’intimité :

Tout le monde est sorti indemne. Sardou est resté Sardou. Je suis resté ce que je suis. Ça fait partie des ironies, des espiègleries de l’existence. Il faut jouer le ballon quoi.

Pour conclure

Une dernière citation de Chalumeau sur les disques, opinion sur la magie des faces que je partage à 100% :

On ne fait plus d’albums. Avec les baladeurs et la programmation aléatoire, l’album en tant que forme narrative, en tant que construction a reçu le coup de grâce après avoir été déjà bien mis à mal par l’apparition du CD qui avait tué la notion de face et de morceau de fin de face.

Y’avait des sous-genres. Y’avait des morceaux de fin de face A, qui appelaient un autre sous-genre, c’était le morceau de début de face B avec évidemment le genre suprême, c’était le morceau de fin de face B. On a tous des souvenirs de morceaux qui sont rentrés dans l’histoire et dans les nôtres car ils étaient magnifiées par cet emplacement.

C’est dommage parce que y’a des gens qui savaient se nourrir de cette contrainte et de ce dispositif, et clairement ça inspirait.

Chalumeau a aussi écrit des chansons pour Bruel et Michèle Torr. Mais je crois que je vais m’arrêter là sur mes enquêtes sur le passé de Chalumeau et seulement me concentrer sur ses bouquins.

La Playlist

L’occasion est donc idéale pour fournir une compile spéciale morceaux de fin d’albums :

  1. Arctic Monkeys - From the Ritz to the Rubble
  2. Bloc Party - She’s Hearing Voices
  3. Get Well Soon - You Cannot Cast Out The Demons (You Might As Well Dance)
  4. Ben Kweller - On My Way
  5. Franz Ferdinand - 40’
  6. The Zombies - Time of the Season
  7. Arcade Fire - In The Backseat
  8. The Clash - Train In Vain
  9. The Beatles - A Day in the Life
Écouter sur Spotify

Addendum

En 2022, Laurent Chalumeau nous rappelle que dans un numéro de Schnock de 2022, il disait sur Sardou :

Je pense que Depardieu s’est mangé moins de réflexions quand il est devenu pote avec Poutine que moi quand il s’est su que je bossais avec Sardou. Pour dire si j’étais et reste entouré de snobinards et de puritains ! (…) En ce qui me concerne, j’ai toujours trouvé naze cette manie de le confondre avec les personnages de ses chansons. Or, il faudrait savoir : quand c’est Springsteen qui chique au métayer exproprié ou au serial killer, tout le monde percute et lui colle du Steinbeck ou du Truman Capote. Mais que Sardou s’affuble d’identités d’emprunts, et ça devient de l’appel au viol ou à la loi martiale. Au hasard et entre autres, Pierre Perret a pu chanter qu’il était « le plombier-biébiébiébié » (et avait donc « un beau métier ») sans qu’à ma connaissance quiconque l’appelle pour déboucher des chiottes avec une grosse ventouse. Donc, les lyrics au pied de la lettre, trouvez autre chose. (…) Enfin, n’étant pas précisément Mister Congeniality moi même, le coté cabochard bourru m’était plutôt sympatoche a priori. Gainsbourg parlait de la beauté des laids. Les connaisseurs savent la bonté des grognons. Après, je rassure : en deux ans, au boulot comme en privé, je ne l’ai jamais confondu avec Arlette Laguillier. Mais je ne l’ai jamais non plus entendu dire quoi que ce soit d’infâme. Là où ça compte, il est irréprochablement halal. Et son bon sens bougonné ou son individualisme Gonzo me changeaient des Bien Pensant FM et Gauche Caviar TV qui sont le fond sonore de mon biotope habituel. En plus, « de droite », c’est comme tout : ça dépend comment c’est fait. Maintenu dans des limites, ce n’est pas un délit. Surtout que lui, c’est encore autre chose. Ni droite, ni gauche. C’est « Michel, libre dans sa tête (de lard) », plutôt.